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Comment accélérer la numérisation des exploitations agricoles ?

Actualité | Publié le 24 mars 2023 | Mis à jour le 24 mars 2023

Une étude de l’EM Normandie, pointe le retard du secteur agricole normand en matière de numérisation. Les constats et recommandations en faveur de la transformation numérique des agriculteurs, faits par ses auteurs, constituent des pistes intéressantes pour l’ensemble des territoires.

Photo illustrative
© EM Normandie

L’étude « L’agriculture, maillon faible de la digitalisation ? » publiée en mars 2023 par la chaire Digitalisation et Innovation dans les Organisations et les Territoires de l’EM Normandie s’intéresse au niveau de numérisation des agriculteurs de la région normande.

L’agriculture : un secteur à la pointe du numérique…mais à la traîne en matière d’usages

Les résultats de l’étude, centrée sur le territoire agricole traditionnel normand, montrent que, si les outils numériques sont bien présents au sein des exploitations agricoles de Normandie, leur taux d’équipement est moindre que dans les autres secteurs d’activités. Un constat particulièrement vrai pour les éleveurs qui sont globalement moins bien équipés que les cultivateurs (production végétale).

D’une manière générale, les agriculteurs perçoivent moins les bénéfices du numérique dans leur activité en comparaison des autres secteurs d’activités. Cela explique leur faible niveau d’investissement dans le numérique.

Ces données convergent largement avec celles du Baromètre France Num qui mesure depuis 2020 les progrès réalisés par les entreprises françaises pour se numériser et identifier les freins et leviers pour accélérer leur numérisation. Il est donc légitime de penser que l’état des lieux dressé par l'étude de l'EM Normandie est, au moins en partie, généralisable à l’ensemble des régions françaises.

Où en sont les professionnels du secteur agricole dans leur numérisation selon le Baromètre France Num 2022 ?

Selon le Baromètre France Num, entre 2020 et 2022 la part des entreprises agricoles qui trouvent que le numérique représente un bénéfice réel pour leur entreprise a stagné autour de 70 %. Dans le même temps, elle a progressé de 12 points de 68 % à 80% pour les TPE et PME tous secteurs d’activités confondus.

Les agriculteurs sont peu équipés en site internet (39 % en 2022 contre 68 % pour l’ensemble des secteurs) et réseaux sociaux (45 % contre 60 %) car cela leur parait peu pertinent pour leur activité.

Des chiffres qui s’expliquent aussi par les problèmes d’accès à internet auxquels ils doivent faire face. Ainsi ils sont 12% à déclarent ne pas avoir de site web car ils ont des problèmes d’accès à internet contre 4% pour l’ensemble des secteurs. Des difficultés qui impactent sans doute tous les usages.

Les agriculteurs sont en revanche moins en retard en ce qui concerne la vente en ligne que ce soit sur son propre site (14 % contre 19 % pour l’ensemble des secteurs), via une place de marché (4 % contre 8 %), sur les réseaux sociaux (7 % contre 6 %), de click and collect (11 % contre 11 % en 2022). En 2022, ils sont néanmoins 69 % à penser que vendre sur internet n’est pas pertinent pour leur métier contre 73 % pour tous les secteurs d’activité.

En matière de solution de gestion (comptable, facturation, paiement, achat, logistique,etc…)  ils sont globalement 6 à 7 points derrière l’ensemble des secteurs.

Ils possèdent également moins de compétences dans le numérique que ce soit en en externe, via des prestataires (20 % contre 31 % ou en interne (33 % contre 40 %).

Enfin, 31 % des agriculteurs déclarent qu’ils n’ont aucun budget prévu pour le numérique pour l’an prochain contre 24 % tous secteurs confondus.

Explorer les données du baromètre France Num

Selon les auteurs de l’étude de l'EM Normandie, les seuls usages pour lesquels le numérique est plébiscité, sont pour :

  • communiquer avec les partenaires ;
  • s’assurer du respect des calendriers ;
  • réduire leurs coûts.

Cela rend bien compte de la vision très pragmatique qu’ont les agriculteurs des usages de ces nouveaux outils.

Une offre de solutions surabondante et pas toujours adaptée aux besoins des agriculteurs

Les agriculteurs doivent faire face à une surabondance d’outils qui ne correspondent pas toujours à leur réalité et à leurs besoins.

Le secteur est marqué par la multitude d’acteurs positionnés sur l’accompagnement à la numérisation des agriculteurs : startups, équipementiers, prestataires, coopératives, chacun met en avant ses solutions. Pour l’exploitant il est très difficile de savoir à quel acteur accorder sa confiance et quel outil choisir.

Les solutions proposées par ces différents acteurs génèrent des volumes de données qui peuvent être très intéressants pour mieux piloter l’activité.

Malheureusement, les outils d’analyse proposés en standard par ces éditeurs s’avèrent le plus souvent inadaptés. Chaque exploitation, en fonction de sa production, de sa taille ou de son territoire, a des besoins spécifiques qui nécessitent des paramétrages ou des adaptations difficilement accessibles.

Et, en règle générale, les solutions proposées ne permettent pas, ou difficilement, de récupérer les données qu’elles génèrent, privant les agriculteurs de la possibilité de les réutiliser.

Recommandations pour une véritable transformation numérique du secteur agricole

Les auteurs de l'étude formulent une série de recommandations pour créer les conditions d'une véritable transformation numérique du secteur agricole. Ces conditions doivent, selon eux, être toutes réunies pour assurer cette numérisation.

1. S’adresser à toutes les entités agricoles, quels que soient leur taille et leurs types d’activités.

2. Adresser l’ensemble des aspects de l’activité de l’agriculteur : pas seulement les activités de production mais aussi celles de gestion : approvisionnement, vente, ressources humaines, gestion financière et comptable, etc. Par ailleurs, les outils numériques doivent faciliter le travail et participer à améliorer le bien-être des agriculteurs.

3. L’ensemble des les outils numériques utilisés doivent être en mesure de communiquer entre eux. C’est une condition pour dépasser la seule automatisation des pratiques de production ou de gestion et engager une transformation numérique réelle. La fluidification des échanges de données et une meilleure gestion des données doivent contribuer au pilotage de l’activité et favoriser l'optimisation des ressources et la création de valeur.

En conclusion, les auteurs appellent à une évolution du discours institutionnel porté par divers acteurs : syndicats, institutions internationales, organisations professionnelles, etc., afin qu’il soit plus en phase avec d’autres enjeux du moment : le bien-être des agriculteurs, leur besoin de fluidité dans la gestion de leur exploitation et l’attractivité de l’agriculture.

Pour eux, les politiques publiques doivent également être revues en ciblant davantage les subventions vers des agriculteurs qui favorisent à la fois la transition agroécologique et entrepreneuriale. Les agriculteurs doivent enfin être replacés au centre des dispositifs d’innovation.

A propos de l’étude

L’étude « L’agriculture, maillon faible de la digitalisation ? » s’appuie sur les résultats d’une enquête de l’Observatoire des Transformations Numériques, impulsé par la Région Normandie, menée auprès d’un panel de 213 exploitations agricoles de moins de 10 salariés.

Elle a été pilotée par Mathilde Aubry, responsable de la chaire Digitalisation et Innovation dans les Organisations et les Territoires, Zouhour Ben Hamadi, Nazik Fadil et Christine Fournès, enseignants-chercheurs à l’EM Normandie.

En savoir plus

 

Julien Karachehayas | Licence Creative Commons BY-NC-SA 3.0 FR

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